La fois où un orignal m’a traîné, c’est vraiment la plus drôle de mes aventures. J’étais encore assez jeune lorsque ça m’est arrivé; c’est avant que l’ours me mange le genou. Dans ce temps-là, je commençais à trapper avec Jos Testament. Jos, c’est un très bon trappeur, mais c’était aussi un grand joueur de tours. Il m’avait convaincu d’attraper un orignal vivant. Il m’avait dit :
— Le jeune, un buck d’un an, y a rien de plus facile à attraper. Tu lui passes une boucle autour du nez, pis il te suit comme un chien. Imagine-toi, tu pourrais aller le vendre au marché de Laprairie ou de Sainte-Julie. Les habitants vont te le payer au moins 25 piasses; c’est bien meilleur qu’un cheval pour labourer.
Alors je me suis mis en tête d’attraper ce fameux « buck ». J’avais repéré les pistes d’une famille d’orignaux pas loin d’un lac de castors. Alors je m’étais grimpé sur la fourche d’un arbre et j’avais fabriqué une petite plate-forme avec des branches et des cordes. Puis j’avais préparé une sorte de lasso avec une grande boucle, en corde solide. Et j’attendais qu’un orignal passe. Jos venait prendre des nouvelles de temps en temps et il m’apportait à manger et à boire. Au bout de trois jours, je commençais à avoir des crampes partout à force de rester juché sur ma petite plate-forme.
Alors Jos a décidé de m’aider en imitant le fameux cri du mâle avec un cornet en écorce de bouleau. Ça n’a pas été long qu’on a entendu des craquements dans le bois. Jos m’a dit :
— Prépare-toi, le jeune, y s’en vient!
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Alors je me suis accroupi et j’ai laissé pendre mon lasso. Au bout d’un moment, j’ai entendu une bête souffler presque en dessous de moi. J’ai serré la main sur ma corde et j’ai fermé les yeux. Tout à coup, j’ai senti la corde se tendre. J’ai donné un bon coup... Et c’est là que j’ai vu ce que j’avais au bout de mon lasso. C’était une énorme bête, un orignal d’au moins 1500 livres avec un panache de deux verges. Mon lasso était pris dans ses bois. Quand il a senti le lasso sur ses bois, l’orignal est parti à l’épouvante. Malheureusement pour moi, j’avais attaché cette corde autour de ma taille. Beding, bedang! J’ai été arraché de l’arbre comme si j’avais été une petite branche morte. L’orignal fonçait dans le bois droit devant lui et me traînait sans même s’en apercevoir. |
Bing, bang, je rebondissais sur le sol et contre les arbres comme une poupée de guenille; je ne sentais plus la douleur tellement j’étais étourdi. Puis j’ai entendu un grand floc. L’orignal s’était jeté dans l’étang de castors et il me traînait comme un vieux sac. Puis il s’est rendu au barrage, il l’a escaladé; et moi je suis rentré dedans tête première. La corde s’est prise dans les branches du barrage. Mais l’orignal était tellement fort qu’il a brisé la corde d’un seul coup de tête. Et moi je suis resté couché sur le barrage à moitié assommé. C’est Jos qui est venu me chercher...
Après ça, on a bien ri de ma mésaventure. Jos m’a expliqué qu’il voulait seulement me jouer un tour en me faisant accroire qu’on pouvait attraper des orignaux au lasso. Il ne pensait pas que j’en attraperais un pour de vrai.
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