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Les aventures de Jérôme Lagibotière



Au dessus d'un nid de corneilles


Je peux vous dire que la fois où j’ai volé comme un oiseau a été une des expériences les plus extraordinaires de ma vie vécue jusqu’à présent. Voici comment c’est arrivé...

C’était au printemps de 1850, j’étais dans les parages de Saint-Hilaire. La rivière Richelieu était très haute. Le passeur du bac ne voulait pas traverser vers Beloeil. J’étais impatient d’avoir des nouvelles de mon ami Théo Dollite, qui devait arriver de Longueuil avec de nouveaux équipements de trappe et, surtout, avec des nouvelles de ma famille. Comme j’étais pris sur le bord de la rivière en crue, j’ai décidé d’escalader le mont Saint-Hilaire pour voir arriver la diligence sur la route de Beloeil. Je suis monté « drette » dans les escarpements. Il y a un chemin pour ceux qui le connaissent. Finalement je me suis installé sur le plus haut sommet du massif. C’est un genre de cap de roche d’où on peut voir jusqu’à Montréal quand le temps est clair. J’avais ma lunette de marine (la seule chose qui m’est restée de mon père) et, avec cet instrument, je voyais facilement les voyageurs qui arrivaient de Saint-Bruno et même de Saint-Hubert.

Pour m’abriter, j’avais emporté une tente très légère faite de coton égyptien. Ça, c’est un tissu qui est très léger et imperméable. C’est un cadeau que j’avais reçu d’un marchand européen, M. Olivier Reboul, que j’avais guidé dans le nord du pays. Alors je me suis installé sur le cap de roche pour la nuit. J’ai attaché quelques branches d’orme bien sèches pour faire la membrure de ma tente; ça faisait comme un genre de triangle orienté vers l’ouest. Au petit matin, je me suis fait réveiller par le vent. Il soufflait pour écorner un boeuf. Ma petite tente se faisait aller dans tous les sens. Ça fait que pour la tenir, je me suis étendu sur une des tiges de la membrure. Et puis là, je me suis presque rendormi...


Tout d’un coup, il est arrivé une bourrasque qui a emporté la tente. Mais moi, je ne voulais pas la lâcher. Pensez donc, du coton égyptien! Le vent m’a traîné jusqu’au bord du précipice; je me suis accroché après la membrure et, là, soudain, je me suis retrouvé dans le vide. Je tombais, j'avais le coeur dans la gorge!!! Floc! heureusement ma tente s'est toute gonflée comme une sorte de ballon et moi, je suis resté accroché en dessous et je flottais dans l’air. Pour dire vrai, je descendais, mais c’était comme si je planais. Soudain devant moi, je vois la cime d’un gros pin! Catastrophe! J’arrive droit dessus. Le pin sert de perchoir à une tribu de corneilles. Quand elles me voient arriver par en haut, elles sont saisies de panique et s’en vont dans tous les sens. Bientôt j’en ai une dizaine de prises avec moi dans ma tente miraculeuse. Et puis là, le vent nous attrape! On se met à remonter le flanc de la montagne; et on monte; et on monte. Je suis à bout de souffle. Les corneilles finissent par s’échapper en me regardant d’un drôle d’air. Elles n’ont jamais vu un oiseau rare dans mon genre!!

Finalement, je redescends, en planant, vers le Richelieu. Je suis tellement haut que je réussis presque à traverser la rivière. J’atterris tout près du quai du bac de Beloeil, dans l’eau glaciale. Heureusement que des gens m’ont entendu crier et sont venus à ma rescousse, autrement je me serais noyé! Finalement, ils m’ont sorti de l’eau avec ma fameuse tente de coton égyptien. J’ai été me réchauffer à l’auberge, mais personne n’a voulu croire mon histoire. Ils pensaient tous que j’avais essayé de traverser avec un canot et que j’avais chaviré...

Ouf!!!

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