
Il m'est arrivé de jouer des tours pendables à ma soeur et à mes frères, mais jamais des choses méchantes. Une fois cependant, j'ai été un peu méchant ou idiot (ou les deux). J'avais fait croire à ma soeur et à mes deux frères qu'il y avait un trésor caché dans la cheminée.
Ma soeur a décidé d'aller voir en grimpant sur un escabeau, dans l'âtre. Elle s'est mise a tâter le dedans de la cheminée à la recherche du trésor. Puis mes deux frères ont essayé en grimpant le plus haut possible dans la cheminée. Vous pouvez vous imaginer qu'ils en sont ressortis tout noir de suie, les pauvrets. Ils pleuraient, ils essayaient de se nettoyer, mais ils ne faisaient qu'empirer les choses. C'est difficile à laver de la suie.
Quand ma mère est revenue et qu'elle a vu les dégâts, elle s'est effondrée en pleurant. Ma mère était une femme douce qui ne se mettait jamais en colère. À ce moment-là, elle était déjà très malade. Cette situation m'a brisé le coeur. Je ne savais pas trop quoi faire pour réparer ma faute. Je me suis morfondu plusieurs jours. Finalement, j'ai eu l'idée de me faire engager comme apprenti ramoneur. Nous avions besoin d'argent; il fallait que je travaille de toute façon. Et puis c'était un métier qui me fascinait. Monter sur les plus hautes cheminées, courir sur les toitures, voir le monde d'en haut! Et allez savoir, il y avait peut-être un trésor dans une de ces cheminées.
Quand j'ai appris la nouvelle à ma mère, elle a eu un grand sourire compréhensif. Elle m'a serré sur son coeur en murmurant :
— Tu es un brave garçon, Jérôme. Promets-moi de t'occuper d'eux...
C'est ainsi qu'à l'âge de 12 ans, je suis devenu apprenti ramoneur et que j'ai fait mon entrée dans le monde des adultes. C'est un métier qui m'a réservé plusieurs surprises et, une fois, il m'est arrivé une aventure incroyable, qui me donne encore des frissons aujourd'hui.
J'avais commencé mon travail d'apprenti ramoneur pour le compte d'un certain Cléophas Bergeron. Celui-ci engageait de nombreux jeunes garçons pour nettoyer les cheminées. Je découvris rapidement pourquoi il engageait tant de jeunes comme moi. Vous pouvez penser que le ramonage se fait toujours par les toits, à l'aide d'une corde et d'un hérisson. Eh bien, ce n'est pas toujours vrai. Les cheminées qui servent à plusieurs logements ou à plusieurs appartements sont souvent trop grosses pour être ramonées avec un hérisson.
Il faut que quelqu'un entre dans la cheminée, par en bas, et grimpe en grattant les parois avec une sorte de griffe métallique. C'est pour ça qu'on engageait des jeunes comme moi, parce que nous étions assez minces pour nous faufiler dans ces cheminées. Heureusement que je n'étais pas peureux de nature, car il faut du courage pour s'engager dans ces tuyaux étroits, crasseux, étouffants avec seulement un sac sur la tête et une corde avec laquelle on vous hâle jusqu'en haut.
Voilà qu'une bonne fois, on nous appelle dans une de ces grosses maisons de ville de cinq étages qui bordent le marché Bonsecours. Apparemment qu'il y avait une cheminée de bouchée. Et c'était vrai. On n'y voyait rien ni par en haut ni par en bas. Pas moyen de faire passer une corde de halage. Ça fait que le bonhomme Bergeron, il me fait grimper par l'ouverture du foyer, en bas, avec un valet. Un valet, c'est une un morceau de bois ferré qu'on coince dans la cheminée et auquel on peut s'accrocher (quand il ne glisse pas!). Il me dit :
— Grimpe jusqu'à l'obstruction et essaye de déboucher le conduit.
Alors je commence à grimper en me servant du valet et en m'arc-boutant contre les parois. J'ai un sac sur la tête, avec deux trous pour les yeux, une griffe métallique pendue à la ceinture, une chandelle et un briquet dans une poche de ma casaque.
Je réussis à grimper presque deux étages (environ 10 tractions sur le valet) sans problèmes. J'arrive alors au passage obstrué. En tâtonnant, je m'aperçois qu'il y a des bouts de bois, du plâtre et des briques coincés dans le conduit.
Avec précaution, j'essaye de détacher les morceaux et de les faire tomber à côté de moi. Pendant un moment, ça va assez bien et je peux continuer à grimper un peu. Soudain, c'est le désastre, on dirait que tout s'effondre autour de moi. Je me retrouve coincé dans un carcan de bois et de pierre; j'étouffe. On n'y voit plus rien. Pas moyen de monter, plus moyen de descendre. Je ne me souviens pas d'avoir eu aussi peur de ma vie.
J'ai crié, j'ai crié pendant plusieurs minutes :
— Monsieur Bergeron, au secours! Venez m'aider, je suis coincé!
Rien, pas une réponse ne me parvenait. Puis j'ai pleuré aussi. Je pensais à ma mère :
— Maman, viens me chercher, j'ai peur...
Finalement, je me suis ressaisi et j'ai réussi à allumer ma chandelle. J'ai vu alors que la cheminée était toute défoncée sur un côté. Je me suis mis à pousser avec les jambes. Crac! un nuage de poussière de plâtre, j'avais fait un trou dans la paroi. Derrière le trou, il me semblait qu'il y avait un espace libre. Je me suis mis à gigoter, les pattes par en avant, pour me faufiler par le trou. À mon grand soulagement, mes pieds ont fini par toucher le sol.
J'ai rallumé ma chandelle qui s'était éteinte avec toutes mes contorsions et là, mes amis, j'ai vu un spectacle qui m'a figé de stupeur. Je voulais crier, mais l'émotion qui me serrait la gorge m'en a empêché. Il y avait quelqu'un, là, devant moi, dans le petit réduit où j'avais réussi à me faufiler. C'était un homme. Il était assis à une table. Il avait la tête appuyée sur son bras gauche comme quelqu'un qui s'est endormi de fatigue. Dans la main droite, il tenait une plume, maintenant couchée sur une feuille de papier. Il y avait aussi une liasse de feuillets déjà rédigés et un encrier. Ouf, mais quelle odeur!
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En m'approchant, j'ai pu constater ce que j'avais déjà deviné. L'homme était mort, et depuis longtemps. Sa peau était toute parcheminée et tannée comme du cuir. Ce n'était qu'un squelette recouvert de sa peau et de quelques vêtements. |
Sur le moment, je ne me suis pas demandé comment cet homme était arrivé là et comment il avait pu mourir (et se conserver dans un si bon état). Cette énigme, je la résoudrais plus tard. Je ne pensais qu'à sortir au plus vite de ce tombeau puant. À la lueur de la chandelle, j'ai examiné les murs du réduit. Si quelqu'un était venu mourir ici, c'est qu'il avait dû y entrer. J'ai découvert assez vite le cadrage d'un petit portillon. J'ai tiré sur le cadre. Derrière se trouvait une rangée de madriers disjoints. À travers les fentes me parvirent une bouffée d'air frais et un rai de la lumière. À l'aide de mon valet, J'ai pu soulever les madriers et les déplacer pour créer une issue.
Avant de sortir, j'ai eu une arrière-pensée. Je suis retourné à la table et j'ai ramassé tous les feuillets qui avaient été rédigés par le mort mystérieux et je les ai fourrés sous ma casaque. Puis, je me suis glissé à travers l'orifice.
Je me suis retrouvé dans un garde-robe; j'entendais la voix de quelqu'un qui chantonnait. La porte était entrouverte. J'e l'ai poussée doucement. Devant moi, à quelques pas, une dame bien «corporante», en petite tenue, était en train de se maquiller en se regardant dans un grand miroir. Elle chantonnait un air à la mode. Je l'ai vue d'abord, puis elle m'a vu. Ou plutôt elle a vu un petit gnome tout noir, un démon de l'enfer, venu la chercher pour la punir de sa coquetterie. Elle a poussé un grand cri, elle s'est évanouie et puis elle s'est effondrée en bas de sa chaise. Je ne savais plus que faire, j'étais désemparé; c'en était trop pour moi. J'ai pris la porte et puis le premier escalier qui s'est présenté. Je voulais sortir au plus vite de cette damnée maison. Une fois dans la rue, j'ai pris mes jambes à mon cou et je suis rentré à la maison. Au diable le métier de ramoneur!
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