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Les aventures de Jérôme Lagibotière



L'île aux goélands


La fois où j’ai été pris sur une île déserte a été une de mes pires aventures. C’était vers la fin de l’été et j’étais dans les parages du grand lac Mistassini, pour aller vers la baie d’Hudson. J’étais accompagné par un marchand de fourrures pas trop expérimenté. Notre canot était passablement chargé. Nous devions rejoindre une flottille de voyageurs qui avait un peu d’avance sur nous.

Comme la journée avançait, on a décidé de prendre un raccourci et de couper à travers une grande baie du lac. Mal nous en prit. Rendus au milieu de la baie, on a été pris dans un genre de tempête de vent qui nous a emportés vers le milieu du lac. Et je vous dis que le lac Mistassini, c’est pas un petit lac. On avait de la misère à garder notre équilibre et les vagues devenaient de plus en plus grosses. Il ne nous restait plus qu’à faire nos prières.

À un moment donné, le canot s’est rempli d’eau et on a chaviré. L’eau était froide sans bon sens. Je me suis accroché au canot, mais mon compagnon n’a pas été capable de résister; il a coulé à pic dans l’eau glaciale. Il s’appelait Rémus Rolandeau. Dieu ait son âme!

J’ai réussi à me «jouker» un peu sur le canot renversé et là je me suis laissé emporter. J’étais comme dans un rêve. Je ne sais pas combien de temps ça a duré. Tout à coup, j’ai entendu des craquements et je me suis comme réveillé. Le canot venait de s’échouer sur une île de roches et il s’était brisé. Là je me suis traîné au sec. Il faisait presque noir. J’ai réussi à attraper des morceaux du canot pour me faire un genre de petite cabane et je me suis couché dedans. La nuit a été dure! Le lendemain, au lever du jour, j’ai pu constater que mon île était minuscule. Elle faisait à peu près 10 pas de large par 20 pas de long. Pas de quoi se faire un château! Il y avait juste quelques petits arbustes rabougris et un peu de bois mort. Je n’avais rien à manger et j’avais perdu mon briquet à amadou. Il me restait juste mon couteau. Je me suis dit : «Au moins, je ne mourrai pas de soif!»

Heureusement qu’il ne faisait pas trop froid. Il n’y avait pas grand-chose à manger sur mon îlot. J’ai passé la première journée à regarder au large pour voir si quelqu’un viendrait à ma recherche. Mais il n’y a eu personne. Ni le lendemain ni le surlendemain.

Là je commençais à être vraiment affamé. J’ai réussi à attraper des salamandres cachées en dessous des pierres. C’est pas mauvais, mais c’est pas gros. J’ai aussi attrapé des grosses larves d’insectes et des papillons de nuit. Ça, c’était croquant. Le cinquième jour, j’ai commencé à manger un de mes mocassins. Ça prend des bonnes dents! J’ai aussi grugé de l’écorce de bouleau qui restait de mon canot. Ça donne soif. Une journée, j’ai vu des goélands qui tournaillaient autour de mon île. J’ai eu l’idée de faire le mort, des fois qu’il y en aurait un qui s’approcherait.


Je me suis étendu sur une roche, sans bouger. Et puis j’ai attendu, j’ai attendu... Un moment donné, je me suis endormi. Tout à coup, bang!, je reçois un coup sur la tête. Il y avait un goéland qui voulait me prendre un morceau d’oreille. Là je me revire d’un coup sec et j’attrape l’oiseau. Ça n’a pas été long que je lui ai tordu le cou et que je l’ai plumé. Disons que le goéland cru, ça goûte comme de l’huile de foie de morue. Au moins ça m’a redonné des forces. Avec les restes du goéland, je me suis fait un appât pour attraper d’autres goélands. J’ai réussi à me faire un genre d’argiboire avec une membrure de mon canot et j’ai fabriqué un collet en découpant ma ceinture de cuir. C’est comme ça que j’ai réussi à survivre pendant plusieurs semaines. En plus, je gardais les plumes pour me faire une couchette et j’ai commencé à en attacher sur mes vêtements. Puis je me suis même fait un casque en peau de goéland. Une bonne journée, j’ai vu un canot passer au loin. Je me suis mis à sauter et à agiter les bras. Les gens m’ont vu et ils se sont approchés. C’étaient des guides indiens de la Baie du Poste. Moi, je les ai reconnus, mais eux ne m’ont pas reconnu du tout. Lorsqu’ils ont été proches, ils se sont mis à crier et puis ils ont reviré de bord à toute vitesse. Je pense qu’ils ont eu peur de mon habit de goéland. Finalement, je me suis déshabillé et je les ai appelés par leur nom. Ils ont bien vu que je n’étais pas un monstre et ils m’ont reconnu. C’est comme çà que j’ai été sauvé et que j’ai pu retourner chez moi.

Quand je suis revenu au village, je me suis fait tirer le portrait avec mon habit de goéland.

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