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Les éditions Gonzague


Chapitre II


Cela faisait quelques heures qu’ils naviguaient au large. Le petit lac paisible des Deux Montagnes s’était versé dans le grand fleuve St-Laurent. Le fleuve était particulièrement bas à quelques endroits et surtout à cette époque de l’année, seuls les canots pouvaient passer les hauts-fonds, avec un chargement minimal. Il y avait suffisamment d’espace pour être à l’aise dans le canot. Sur la rive quelques arbres se réchauffaient du soleil qui ne s’était pas montré depuis fort longtemps. Mais il faisait quand même frais. Ils avançaient avec le soleil. Les montagnes leur tenaient compagnie et les couleurs fraîches de l’automne les rendaient joyeux.

Gaston Talbot avait eu le temps de faire voir ses tics nerveux à plusieurs reprises. Il était vêtu d’une chemise de coton aux couleurs flamboyantes et d’un pantalon trop long pour ses courtes jambes, il devait avoir trente ans et plus, mais en paraissait au moins quarante.

Koernellius Crieghoff, étendu de tout son long, somnolait paisiblement. Il était le plus âgé de la troupe, une quarantaine d’années gratifiaient son corps volumineux.

Jameson Brownell écrivait ses poèmes qui, selon lui, deviendraient un jour connus de tous. Rêveur, il était jeune et très ambitieux, il voulait devenir célèbre et faire beaucoup d’argent. Il était courageux et dans ses yeux brûlait une flamme brillante remplie d’imagination. Il était petit et avait belle allure, mais restait réservé et aucune confidence ne sortait de sa bouche aux lèvres fines et minces.

Joseph-Charles Taché était un grand farceur et avait toujours le petit mot pour faire rire et nous remettre de bonne humeur. Il n’aimait pas se faire taquiner et se choquait très vite, mais pourtant il ne se gênait pas pour lancer quelques farces sur l’allure des autres et leur façon de parler. Il était petit, avait les jambes et les bras musclés, il était autoritaire et quand quelqu’un ne faisait pas son affaire, il engageait une bataille et gagnait toujours, car il était très fort. Il possédait encore un caractère d’adolescent et c’était le plus jeune de tous, il avait seulement vingt ans.

Frédéric Livernois était franc, gentil, très timide, il souriait constamment, il était patient et généreux. Alexandre se lia rapidement d’amitié avec lui.

Albert Grégoir était orgueilleux, il était aussi un peu farceur et surtout grand coureur de jupons. Il aimait parler des filles et détestait la politique.

Alexandre était heureux et fier d’être parmi eux, il essayait d’être à son meilleur pour que tous l’apprécient. Les premiers jours, l’atmosphère fut quelque peu tendue, mais, peu à peu, ils apprirent à se connaître et à s’apprécier.

Il faisait de plus en plus frais. Le soleil blêmit dans le ciel couvert de nuages gris. Le vent s’était levé et transportait l’odeur des quelques arbres de la rive. Cela faisait bientôt huit heures qu’ils naviguaient. Quelque chose allait se produire. Des nuages menaçants s’amoncelaient au nord-ouest et les grondements répétés du tonnerre troublaient l’air silencieux de cette fin de journée d’automne. Les eaux se préparaient, elles mijotaient un mauvais coup, on les entendait chuchoter. La surface de l’eau, courbée par le vent en folie, se tordait, gémissante et rebelle, comme pour échapper à la tempête. Rapidement, les nuages furent sur eux. Le soleil disparut et laissa les ténèbres prendre sa place.

— Préparez-vous, nous allons accoster, la tempête arrive sur nous.

Koernellius cria ces paroles encore tout endormi, il avait la voix rauque et grasse, mais il était furieux de l’attitude figée des autres. Alexandre était peu préparé à ces sortes de mésaventures. Il voulut bouger, mais quelque chose le retint cloué dans le fond du canot. Sans plus attendre, l’orage se déchaîna dans toute sa fureur. La rive était encore loin, mais avec un peu d’énergie et de courage elle était accessible en quelques minutes. Ils étaient tous paralysés.

— Allez, ramez!

Leurs gestes lents et imprécis les avaient entraînés au centre de la tempête qui les contrôlait comme une semelle sous un soulier. Des éclairs zébraient le ciel ponctué de coup de tonnerre. Ils ramaient du plus vite qu’ils pouvaient, mais la peur les possédait. Une heure passa à s’efforcer de ne pas chavirer et surtout ne pas paniquer. Enfin, par un coup de la chance, la chaloupe accosta sur un bout de terre. Leurs yeux se croisèrent et un soulagement indescriptible souffla la peur de leurs visages et illumina leurs yeux. Un sourire envahit leurs lèvres, Frédéric échappa une larme confuse et tous s’en moquèrent. Une joie primitive éclaira leurs visages blanchis par la peur. Ils étaient sain et sauf, et tous un peu plus préparés à vivre et à souffrir.

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