Lhistoire de léducation au Québec est teintée de divers soulèvements populaires, que ce soit de la part des enseignants, des étudiants ou de leurs parents. Un des épisodes les plus mouvementés de cette histoire est sans doute la «guerre des Éteignoirs» qui a provoqué un soulèvement de masse durant la seconde moitié de la décennie 1840. Le terme «Éteignoir» vient du fait que les gens s'opposant aux législations scolaires étaient considérés comme des éteignoirs qui étouffaient la flamme du savoir. Pour mieux comprendre ce qu'est la guerre des Éteignoirs, nous décrirons la législation scolaire avant et après 1840, les contestataires et les points de dissension pour terminer par les actions posées et par le règlement du conflit.
1- L'éducation avant 1840
Voyons tout d'abord le système scolaire d'avant l'Union. Il y a en fait peu de choses à dire à ce sujet sinon que, à l'époque, l'école n'est pas obligatoire. Notons tout de même que, malgré plusieurs tentatives (l'Institution royale gérée par le gouvernement britannique (1801) ou les écoles de fabrique gérées par les paroisses (1824) par exemple), il n'a jamais été possible de mettre sur pied un système public efficace.
2- Lois sur l'éducation à compter de 1840
Suite à l'union des deux Canadas, il devient nécessaire de modifier le système d'éducation. Entre 1841 et 1849, quatre (4) lois sur l'éducation se suivront. Ce sont ces lois, en particulier celle de 1846, qui mèneront à ce que nous appelons communément la guerre des Éteignoirs. Ajoutons que, même après 1840, l'école n'est toujours pas obligatoire.
La loi de 1841
En 1841, un système d'éducation supporté par le gouvernement est mis sur pied. À la même époque, on crée les districts municipaux. À la tête du système, on nomme un surintendant de l'éducation qui administre le réseau scolaire. Sous la direction du surintendant, on retrouve les commissaires qui représentent les conseils de district. Le conseil a la charge de lever les impôts et d'approuver les sommes réclamées par les commissaires pour les écoles. Le conseil doit financer la moitié du budget des écoles, l'autre moitié sera payée par la population au moyen de taxes. Cette loi soulèvera un tollé de protestation chez les habitants, ce qui mènera à son abolition.
La loi de 1845
La loi de 1841 n'a jamais fait le bonheur du clergé. Mgr. Bourget, évêque de Montréal, faisait des pressions afin d'obtenir un système religieux. Ses volontés seront exaucées avec la loi de 1845, cette dernière stipule que le curé ou le ministre représentant la religion la plus nombreuse sera nommé commissaire. Suite aux nombreuses protestations face aux taxes sous la loi de 1841, on implante un système de contributions volontaires. Ce système ne durera pas et, suite au manque de financement pour les écoles, il sera remplacé.
La loi de 1846
Conséquemment au manque de moyens financiers pour l'éducation, on revient à une centralisation plus forte de même qu'à un système de taxation en bonne et due forme. Des taxes sur la propriété sont imposées. De plus, les parents ayant des enfants âgés d'entre cinq (5) et seize (16) ans doivent payer des frais mensuels à l'année, peu importe si leurs enfants fréquentent l'école ou non. Ajoutons que toute personne refusant de payer les taxes est passible de poursuite en justice. C'est cette loi qui amène la séparation des systèmes municipal et scolaire.
La loi de 1849
Suite à de nouvelles protestations populaires, la loi sur l'éducation de 1846 sera réformée. Les réformes sont minces: les frais mensuels sont obligatoires pour les parents ayant des enfants âgés d'entre sept (7) et quatorze (14) ans et seulement pendant les mois d'école. De plus, les parents dont les enfants sont âgés de cinq (5) à sept (7) ans et de quatorze (14) à seize (16) ans paient les frais seulement si leurs enfants fréquentent l'école. La loi comporte un avantage: elle tient compte des contraintes du calendrier agraire (elle accepte le fait que, en certaines périodes, I'école soit moins achalandée parce que les enfants doivent aider à la ferme).
3- Réactions populaires et principaux contestataires ou la «guerre des Éteignoirs»
Attardons-nous maintenant aux protestations proprement dites. Nous verrons, dans un premier temps, les contestations pour ensuite voir qui sont les principaux contestataires ainsi que leurs opposants. Dans un dernier temps, nous verrons les moyens de pression employés par les Éteignoirs.
Les réactions populaires
Suite à la loi de 1841, un réseau de protestations s'installe. La population s'oppose au système de taxation. Une des principales demandes du peuple est de faire lever les taxes par les commissaires afin de couper les liens avec le conseil de district municipal. En fait, la résistance se fait surtout de façon passive: la population se contente d'élire des commissaires faisant la promesse qu'ils ne taxeront pas. La loi de 1841 se voit donc compromise. Il y eut en fait peu de contestations suite à la loi de 1845. Cette dernière fait à la fois le bonheur de la population et du clergé.
De toutes les législations, c'est sans doute celle de 1846 qui a soulevé le plus de protestations. C'est suite à ce soulèvement qu'éclate la guerre des Éteignoirs. La contestation populaire s'axe sur quatre points. D'abord, cela va soi, les taxes. Ensuite, le manque d'éducation des commissaires (les membres des professions libérales (les personnes instruites) ne pouvaient pas être commissaires parce qu'ils ne possédaient pas assez de richesses). Selon Marcel Lajeunesse, en 1846, sur 1025 commissaires, 502 ne savaient ni lire ni écrire. S'ajoutent à cela la non-réception des contributions gouvernementales et la réduction de taxe des seigneurs qui, toutes proportions gardées, ne paient que le quarantième des taxes qui sont imposées à la population.
Les principaux contestataires
Malgré tout ce qui précède, ce sont les seigneurs (propriétaires terriens) qui protestent le plus contre la loi de 1846. Bien entendu, ils tentent de joindre la masse à leur mouvement. Si la masse se joint, ce n'est pas parce qu'elle s'oppose à l'éducation, c'est plutôt que les gens ont besoin de leurs enfants pour aider à la ferme. C'est dans le district de Trois-Rivières que la contestation est la plus forte. Les craintes de l'élite sont les suivantes: on craint que les salaires impliqués dans la gestion du système scolaire ne dépassent les revenus des taxes et l'on craint que les commissaires aient trop d'influence sur la communauté. La dernière crainte est compréhensible puisque les seigneurs craignent l'influence démocratique des écoles et l'augmentation des niveaux de décision sur le plan local.
Les contestations se concentrent, bien entendu, sur le système de taxation. Les seigneurs, puisqu'ils ont plus d'argent, peuvent se permettre d'envoyer leurs enfants dans des écoles privées alors qu'ils paient les taxes. Puisque ces taxes se fondent sur la propriété foncière, les seigneurs paient des montants plus élevés que la population rurale.
Les opposants aux Éteignoirs
Bien que le mouvement de contestation ait pris une forte ampleur durant les dernières années de la décennie 1840, les Éteignoirs ne faisaient pas l'unanimité. Qui étaient leurs opposants?
Il est clair que le clergé ne se range pas du côté des contestataires: les fondements du système d'éducation étaient laïcs. Viennent s'ajouter les membres de la petite bourgeoisie, les notables. Leurs motivations sont plus ambiguës. Il est possible que leur opposition aux Éteignoirs résulte de l'approche des élections (elles auront lieu en 1847 et en 1851). Ils veulent aussi avoir accès à la politique locale puisqu'elle est plus facile à atteindre que la politique au niveau national. Sur le plan national, on doit payer un cens électoral et on doit beaucoup dépenser pour se faire élire.
Les moyens de pression
Nous avons vu que, suite à la loi de 1841, la contestation se fait de façon passive. Après 1846, la situation se corse. Dans les comtés de Nicolet et de Yamaska surtout, les contestations s'amplifient pour en venir à des manifestations violentes.
Au départ, on proteste contre les commissaires. On poursuit par de petits actes de vandalisme: on brise les fenêtres des écoles ou on saccage le matériel scolaire. Cependant, ces actions ne mènent nulle part et le mouvement de violence s'amplifie. Les Éteignoirs ne craindront pas de mettre le feu aux écoles afin de montrer au gouvernement et à ses représentants qu'ils ne s'en laisseront pas imposer plus. Des émeutes éclatent, on se révolte contre les commissaires et contre leurs représentants. La violence persistera pour un certain temps. Le gouvernement décidera d'agir en envoyant des représentants et des militaires et la situation s'apaisera peu à peu.
4- La fin de la guerre des Éteignoirs
Il est en fait difficile de cerner la fin exacte de la guerre des Éteignoirs. Certains pensent qu'elle se termine avec la loi sur l'éducation de 1851, d'autres pensent que c'est avec la remise du rapport Sicotte sur l'éducation en 1853, certains vont aussi prétendre que le mouvement s'est éteint de lui-même suite à la vive opposition qu'il suscitait.
5- Conclusion
Certes la guerre des Éteignoirs est un triste épisode de notre histoire. Nous pouvons tout de même remarquer qu'elle est liée aux premières taxations au Québec. Nous constatons donc que les oppositions aux taxes ne datent pas d'aujourd'hui.
BIBLIOGRAPHIE
GROULX, Abbé Lionel, L'enseignement français au Canada. Volume 1-Dans le Québec, Montréal, Librairie d'action canadienne-française, 1931, 327p.
LAJEUNESSE, Marcel, L'opinion canadienne-française et les problèmes d'éducation au Bas-Canada. 1840-1846. Thèse de D.E.S (histoire), Université de Montréal, 1968, 107p.
NELSON, Wendie, The «guerre des Éteignoirs»: school reform and popular resistance in Lower Canada. 1841-1850, Thèse de M. A. (histoire), Université Simon Fraser, 1989, 194p.
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