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Les éditions Gonzague

Les habitudes alimentaires du monde rural québécois au milieu du XIXe siècle

Par Jacques Richer


Les habitudes alimentaires du monde rural québécois du milieu du XlXe siècle ont été modelées par plusieurs facteurs dont le climat est, sans conteste, l'un des plus importants. Les habitants originaires de France, tout en gardant plusieurs de leurs traditions, ont dû s'adapter à un pays nordique caractérisé par la longueur de la saison froide et la brièveté de la saison chaude. Il leur fallait donc tenir compte de cette réalité pour la culture des produits végétaux, l'élevage des animaux et la conservation des aliments. Il faut aussi souligner que les habitudes alimentaires de la population du Québec n'ont pas toujours été les mêmes. Ainsi, très répandue au XXe siècle, la culture de la tomate est inexistante en 1850. À cette époque, on ne mange pas encore les fameuses fèves au lard qui deviendront si populaires peu après et dont la recette viendra des États-Unis. Au XlXe siècle, la culture du blé est moins importante qu'aux siècles précédents, mais celle de la patate l'est beaucoup plus; aussi consomme-t-on moins de pain, mais davantage de pommes de terre.

En 1850, la majorité de la population rurale du Québec habite sur une ferme, et la plupart des produits alimentaires consommés par les agriculteurs et leur famille proviennent des produits de la terre qu'ils cultivent et des animaux qu'ils élèvent. Dans les champs de la ferme, on trouve diverses céréales: celles dont on moud les grains pour obtenir de la farine (le seigle, le sarrasin, mais principalement le blé), l'orge et seulement un peu de maïs, car celui-ci n'est pas encore très populaire. De toutes les cultures de légumineuses, celle des pois est de loin la plus considérable. Séchées, céréales et légumineuses se conservent longtemps; voilà pourquoi elles constituent une part importante de l'alimentation. Une bonne partie des champs est réservée à la culture des pommes de terre que l'on consomme en grande quantité toute l'année; tout comme les choux, les poireaux, les betteraves, les carottes, les navets, les rutabagas, les échalotes « sèches », les oignons et l'ail, que l'on cultive dans le potager, elles se gardent longtemps en bon état. Dans le potager, on trouve également laitues, radis, concombres, courges, haricots, parfois cresson et melons, que l'on mange à mesure qu'ils sont prêts à consommer, car on ne peut les conserver. Le potager est aussi l'endroit où l'on fait pousser les citrouilles et les fines herbes; frais, séchés ou salés, thym, sarriette, persil, ciboulette et cerfeuil serviront à rehausser le goût des plats cuisinés.

Les petits fruits tels les fraises, les bleuets et les framboises sont cueillis à l'état sauvage. Un bon nombre d'agriculteurs possèdent un petit verger; le plus souvent on y trouve des pommiers, mais aussi, parfois, des cerisiers et des pruniers. Les fruits se mangent frais, l'été, et tout comme avec la citrouille, on en fait des pâtisseries et des confitures, lesquelles, grâce au sucre qu'elles contiennent, peuvent se conserver très longtemps. Plusieurs producteurs agricoles ont une érablière et la fabrication de sucre d'érable est très répandue; ce sucre est celui qui est le plus consommé dans les campagnes au milieu du XIXe siècle.

Le début de l'automne est le moment où l'on rentre les grains, ainsi que les légumes qui se conservent, dans le but d'en faire provision jusqu'à l'été suivant. Ils sont entreposés à la cave ou au grenier selon qu'ils ont besoin d'air frais ou d'air sec. Les pommes sont mises dans des tonneaux remplis de sciure de bois ou de sable sec.

À la ferme, les animaux que l'on élève le plus fréquemment pour les besoins alimentaires sont les porcs, les boeufs, les veaux, les poules (en particulier pour les oeufs), les oies, les canards, les dindes et les chapons. Presque tous les habitants ont au moins quelques vaches, surtout pour les produits laitiers. Plusieurs établissements agricoles possèdent une laiterie où le lait est conservé et où l'on prépare le beurre, mais rarement du fromage, à cette époque. Au milieu du XIXe siècle, de façon générale, le long hiver québécois ne permet pas aux habitants de garder un grand nombre d'animaux dans l'étable en raison de l'importante quantité de nourriture qu'il faudrait produire et stocker pour les nourrir. L'habitant est donc contraint de ne garder que les bêtes dont il a besoin pour renouveler son cheptel, ainsi que pour approvisionner la famille en produits laitiers. Voilà pourquoi le début de l'hiver est le temps des grandes boucheries où l'on abat un nombre important de bêtes. Le porc est la viande la plus populaire et presque toutes ses parties sont consommées. Après les boucheries, la chose la plus importante est de conserver la viande pour les mois à venir. Les habitants salent donc une grande quantité de lard et parfois d'autres viandes; certaines sont aussi fumées. Pour les volailles, la viande peut être précuite et conservée dans de la graisse. Une quantité importante de viande est aussi mise à congeler dans une dépendance ou sous la neige.

Les animaux que l'on mange peuvent également provenir de la chasse ou de la pêche qui sont des activités de loisir se pratiquant toute l'année. Au milieu du XIXe siècle, on chasse surtout les oiseaux, et la tourte est l'un des plus appréciés. Au Québec, les sites pour attraper le poisson ne manquent pas: fleuve, lacs, rivières, ruisseaux. Le produit de la pêche constitue un apport alimentaire intéressant, surtout les jours maigres, nombreux à l'époque.

Les habitants d'un village qui n'exploitent pas une ferme, les artisans, le notaire, etc. doivent acheter les produits dont ils ont besoin pour se nourrir. Le paysan doit, pour sa part, se procurer les denrées alimentaires qu'il ne produit pas, et qui sont souvent des produits importés: le sel, le poivre, le thé, la mélasse, le sucre, la cassonade, le riz. Selon les produits, on peut s'approvisionner chez le marchand général, le boucher et le boulanger, au marché ou chez un agriculteur. Les gens fortunés peuvent trouver à Montréal ou à Québec un grand nombre de produits fins et/ou rares provenant du Canada ou d'ailleurs.

Sur le plan alimentaire, chaque saison a ses avantages et ses inconvénients. L'hiver, grâce à la congélation, on trouve beaucoup plus de viande « fraîche » sur la table; par contre, les légumes sont peu variés et les fruits frais, inexistants, sauf les pommes. L'été, l'alimentation est plus variée à cause des fruits et des légumes frais qu'apporte le potager; par contre, la viande fraîche est rare. La période la plus difficile est le printemps: il n'y a ni viande fraîche ni légumes frais, et les légumes que l'on conserve séjournent à la cave depuis déjà plusieurs mois.

Si l'alimentation est abondante, elle est cependant peu variée. On mange du lard salé, des pommes de terre et de la soupe aux pois toute l'année. Le beurre et le pain accompagnent tous les repas. Quelquefois, dans la semaine, on ajoute des oeufs au menu. Le lait caillé servi avec du sucre d'érable ou de la mélasse est le dessert le plus fréquent. Les jours maigres, on mange du poisson. La plupart du temps, la monotonie fait partie du menu quotidien. Heureusement, les jours de fête apportent de la diversité aux menus. Le « temps des fêtes », un baptême, une noce, etc. sont des moments exceptionnels où l'on sert des repas qui sortent de l'ordinaire. On tue alors des volailles ou d'autres animaux (ou on les décongèle) pour avoir de la viande fraîche qui sera servie sous forme de ragoût, de rôti, de charcuterie ou de pâté; on fait des desserts de toutes sortes et on sort les confitures et les gelées. Bref, on confectionne les meilleurs plats que l'on sait faire.

Bibliographie
LIVRES
DESLOGES, Yvon et Marc Lafrance, Goûter à l'histoire. Les origines de la gastronomie québécoise, s.l., Service canadien des parcs et les Éditions de la Chenelière, 1989, 160 p.
LAMONTAGNE, Sophie-Laurence, L'hiver dans la culture québécoise (XVIIe - XIXe siècles), Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1983, 194 p.
PROVENCHER, Jean, Les quatre saisons dans la vallée du Saint-Laurent, Montréal, Boréal, 1988, 605 p.
ARTICLES ET CHAPITRES D'OUVRAGES COLLECTIFS
BARBEAU, Marius, « Ce que mangeaient nos ancêtres », Mémoire de la Société généalogique canadienne-française, vol. 1, 1944, p. 14-17.
GAULDRÉE-BOILLEAU, Charles-Henri-Philippe, « Paysan de Saint-lrénée de Charlevoix en 1861 et 1862 », dans Paysans et ouvrier québécois d'autrefois, Québec, PUL, 1968, p. 19-76, Les Cahiers de l'lnstitut québécois, no 11.
ROUSSEAU, Jacques, « Quelques jalons de l'histoire et de la géographie gastronomique du Québec », Les Cahiers des Dix, no 32, 1967, p. 13-35.

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