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Les éditions Gonzague

Le calendrier agraire

Version abrégée
Par Stéphane Bissonnette


Dans le présent texte, nous parcourrons le calendrier agraire du dix-neuvième siècle au Québec. Certes, nous ne verrons pas tout. Nous tenterons de parcourir sur une année les principales activités agricoles. Nous commencerons l’année à l'automne puisque les agriculteurs sont, en théorie, censés labourer à cette période. Nous aurions pu commencer au printemps, car au dix-neuvième siècle, peu d'agriculteurs labourent à l'automne. À cette époque, la mécanisation n'est pas encore utilisée et tout, ou presque, se fait à la main.

L'automne

Les labours d'automne
Comme nous l'avons dit, le paysan consciencieux et très courageux fait ses labours profonds à l'automne. Vers la fin octobre, avec sa charrue, il trace de longs sillons dans le sens de la longueur de sa terre afin de perdre le moins de temps possible à tourner. C'est une pratique qui nécessite de la patience et de la constance. En labourant, le paysan divise sa terre en «planches» d'une largeur de 12 à 18 mètres avec de petites rigoles entre elles. Dès la première partie de novembre, le labourage est terminé ou abandonné. La terre est alors «fermée» pour l'hiver.

La rentrée des animaux
Le monde agraire, c'est aussi des animaux. Ceux-ci ont profité de l'été et ont vécu à l'extérieur de jour comme de nuit. Mais, quand les froids arrivent, il faut les «rentrer» à la grange. Si le beau temps se poursuit assez longtemps, les animaux seront dehors plus longtemps. Chose certaine, à la Toussaint (1er novembre), tout le troupeau est rentré. Les vaches laitières sont les premières à être mises à l'abri. À la rentrée, le paysan tarit ses vaches. Il ne leur donne que du foin et ne les trait plus à fond. Celles-ci arrêteront donc de produire du lait pour l'hiver à part une ou deux vaches pour les besoins familiaux. Le paysan va également chercher à vendre quelques bêtes afin d'en avoir moins à nourrir. La basse-cour, quant à elle, est laissée à elle-même. Elle rentre quand bon lui semble.

Les boucheries
Dès la première semaine de décembre, le paysan doit faire des choix. Il doit choisir quels animaux seront tués et quels il gardera durant l'hiver. Il le fait pour trois raisons. D'abord, il ne peut pas tous les nourrir durant l'hiver à cause du manque permanent de fourrage. Puis, les besoins familiaux nécessitent une consommation de viande. Finalement, les froids du début de décembre permettent à la viande de bien se conserver. De tous les animaux, c'est le porc qui est le plus tué. Les habitants le préfèrent à tous. Toutes les parties de son corps sont consommées.

L'hiver

Battage des céréales
Après les fêtes de Noël et les réjouissances qui les accompagnent, la vie quotidienne reprend son cours. Durant l'été, le paysan a récolté des grains. Il doit maintenant séparer le grain de la paille. Le battage des céréales est beaucoup plus facile par temps froid que doux. Avec un fléau, communément appelé un «flô», le paysan bat son blé sur le plancher. Ce n'est qu'en 1840 qu'on verra apparaître la première véritable machine agricole, la batteuse à vapeur communément appelée le «moulin à battre». En 1844, on peut compter 479 batteuses dans tout le Québec.

Vannage des céréales
Après avoir battu le grain, il faut le nettoyer, enlever les impuretés et les morceaux de paille qui sont mélangés aux grains. Pour ce faire, on se place dos au vent, et on emploie un van. Le van est un outil qui sert à projeter les grains dans les airs: ainsi, le vent emporte les impuretés et les grains propres retombent dans le van.

La mouture
Durant l'hiver, souvent vers le mois de février, le paysan se rend chez le meunier pour y faire moudre son grain. Il se rend et prend sa place dans une liste d'attente, car c'est la règle du premier arrivé, premier servi qui prédomine. L'avantage de faire moudre le grain est que la farine se conserve mieux que le grain.

Le bois de chauffage
L'hiver au Québec est très froid, donc le paysan doit s'assurer une bonne réserve de bois de chauffage. Après les fêtes, il va en forêt et abat les arbres qu'il désire. Il les sort de la forêt. Puis, il les coupe en longueur de 45 à 60 centimètres. Quand le froid est intense, c'est le meilleur moment pour fendre le bois. Par la suite, il «corde» son bois pour éviter qu'il ne pourrisse. Donc, au début mars, maximum, le paysan doit avoir terminé de fendre son bois pour l'hiver suivant.


Le printemps

Le temps des sucres
L'une des plus belles activités du Québec rural est la préparation des sucres. Au printemps, quand, la nuit, il gèle et que, le jour, la température est au-dessus de zéro degré Celcius, le paysan ramasse l'eau d'érable pour la faire bouillir jusqu'à ce qu'il ait du sucre d'érable. Au dix-neuvième siècle, les paysans n'achètent pas de sucre des Antilles. Ils produisent leur propre sucre: le sucre du pays.

L'épierrement
«Les pierres poussent en hiver», c'est presque vrai.Chaque hiver, le gel et le dégel successifs provoquent des resserrements et des desserrements de la terre qui font monter les pierres à la surface. Les paysans sont obligés chaque année de passer dans les champs avec une charrette, à bras d'homme pour «nettoyer» les champs des pierres. On se sert des pierres pour former des lignes qui sépareront les champs où on les enfouit dans le sol.

Fertilisation du sol
L'une des règles de l'agronomie est de rendre à la terre les éléments nutritifs que les cultures ont extraits durant l'été. Pour ce faire, les paysans du dix-neuvième siècle utilisent deux sortes d'engrais: le fumier et la glaise. Au printemps, alors qu'il y a encore de la neige, on étend le fumier le plus également possible. À la fonte des neiges, le fumier se décompose pour se mêler à la terre. Cependant, les fermes du dix-neuvième siècle ont peu de cheptels vifs, donc, peu de fumier. Pour compenser, les paysans ont recours à la glaise. Dans certaines régions où les terres sont sablonneuses, comme dans la région du lac Saint-Pierre, les gens étendent une fine couche de glaise sur les terres avant de labourer. Ceci redonne suffisamment d'éléments nutritifs pour produire une bonne récolte. Dans certaines régions, près des côtes, en aval de Québec, on utilise du poisson qu'on laisse pourrir dans les champs. Dans les régions près des plaines marines, on utilise une plante marine, le varech, qui sert également d'engrais.

Les labours
Au printemps, après avoir engraissé la terre, il faut l'aérer, la rendre plus perméable à la pluie. Si le labour d'automne a été fait, le paysan n'a qu'à faire un labour léger afin d'enfouir le fumier dans la terre. Après le labour, souvent le paysan est obligé de ramasser encore des pierres qui sont sorties de la terre lors du passage de la charrue. Finalement, il passe la herse pour briser les mottes de terre et niveler le sol.

Les semailles
La vallée du Saint-Laurent offre une courte saison végétative. Elle dure de 120 à 145 jours, selon le lieu. De plus, à cause des gelées tardives de mai et des gelées hâtives de septembre, cette période peut être plus courte. Quand sème-t-on? Personne ne peut prévoir. On sème lorsque l'on pense que les gelées sont terminées. Les semences proviennent d'un coin de terre où l'on a parfaitement laissé mûrir les grains l'été précédent. Le paysan tente d'acheter le moins de semence sur le marché car elles sont souvent de piètre qualité. Avant de semer, le paysan se signe de la croix, empoigne son grain et sème à la volée à tous les deux pas. Un bon semeur sème cinq à huit arpents par jour.

Réparation des clôtures et curage des fossés
En juin, les paysans sont obligés de faire l'ouvrage qu'ils qualifient de «détestable»: la réparation des clôtures. Détestable non pas à cause du travail ou de la difficulté, mais plutôt parce que cette tâche ne produit rien. Cependant, elle empêche la pire catastrophe d'arriver: que les animaux aient saccagé les champs ou pire encore le champ des voisins. Le bon état d'une clôture est un symbole de fierté pour les paysans. En plus des clôtures, le paysan doit entretenir régulièrement ses fossés. Il suffit de quelques branchailles, notamment après une forte pluie, pour que les champs soient inondés. Avec une pelle, il inspecte régulièrement les fossés pour les tenir dégagés. C'est en juin, alors que les fossés sont asséchés, que le paysan fait la grande ronde des fossés. Les récoltes peuvent être sévèrement compromises lorsque, par négligence, le paysan ne cure pas bien ses fossés.

La sortie des animaux
Les animaux passent tout l'hiver à la grange afin de les protéger du froid. Quand vient le printemps, ils sont souvent amaigris par la faible teneur nutritive des fourrages. Souvent, les réserves sont épuisées. Le premier juin marque la date officielle de la sortie des animaux. La terre est alors assez sèche, les nuits suffisamment chaudes et l'herbe assez haute pour nourrir le cheptel. Avant le premier juin, si les journées sont assez chaudes, on sort le bétail et on le rentre la nuit.

La tonte des moutons
La majorité des vêtements chauds des paysans sont en laine et en lin. Chaque ferme possède quelques moutons afin de produire les vêtements tels que des chaussons, des chemises, des jupes, des culottes, des vestes, des capots, des tuques, des mitaines et même des draps. Au printemps, on tond les moutons afin d'avoir la laine qui servira à fabriquer les vêtements pour l'année suivante. En général, six ou sept moutons comblent aisément les besoins annuels de laine de la famille.

Le potager
Afin de nourrir la famille et surtout afin de varier l'alimentation, la ménagère organise un potager. Le potager, c'est le premier coin qui se fait dépouiller afin de nourrir la famille. Il est situé à l'abri des vents dominants, près d'un point d'eau et à proximité de la maison. Au printemps, l'homme prend sa bêche et sa pioche et laboure le petit coin de culture qui deviendra le coin le plus garni de toute sa terre. C'est la femme qui, durant l'été, prendra soin de celui-ci. Elle sème, elle racle, elle arrose et elle récolte.

L'été

Le temps des foins
À la fin juin, c'est la fenaison. Toute la famille participe à cette activité. La date de la fenaison n'est pas la même pour toutes les régions. La méthode est assez simple, mais longue et harassante. Avec la faux, on coupe le foin puis on l'étend pour le laisser sécher. À la fin de la journée, on regroupe le foin en «veillottes» pour la nuit. Le lendemain, on rouvre les «veillottes» pour les refaire sécher. Puis, on les met en meules et on les entasse sur une charrette pour les amener dans le «fenil». Ce travail peut durer jusqu'à trois ou quatre semaines.

Le temps des grains
La fenaison n'est pas encore terminée que les grains sont prêts. Il n'y a pas de date précise, car la maturation des grains peut être retardée par la sécheresse. De plus, toutes les céréales ne mûrissent pas en même temps. C'est un combat continuel contre la montre afin de récolter le maximum d'une céréale avant que la suivante ne soit à maturité. Ce n'est qu'en 1831 que Cyrus McCormick invente la moissonneuse à cheval. Les plus pauvres ne peuvent se payer une telle machine. Il en va de même pour ceux qui ont trop de pierres dans leur champ. Ceux-ci utilisent la «faucille». On coupe les céréales et on les étend dans les champs pour les laisser sécher parfois jusqu'à quinze jours. Puis, on lie les céréales avec des branches souples de noisetier ou de la paille de seigle. On «engerbe» ainsi les céréales, ce qui dure des jours et des jours. Toutes les sortes de grains sont passées ainsi: avoine, orge, sarrasin, seigle et blé. Finalement, quand tous les grains sont rentrés, on fait la rentrée de la dernière gerbe. C'est la fête de la grosse gerbe. Une gerbe de blé beaucoup plus grosse que les autres qui est amenée en triomphe. C'est la fête qui commence.

La récolte du potager
C'est la maîtresse de la maison qui s'occupe de son potager. Elle s'occupe de clôturer son jardin et décide de ce qu'elle y fera pousser. Dès la Saint-Jean, le potager commence à rapporter des radis. Puis, ce sont les pois, les échalotes, les cornichons, les concombres, les haricots, les betteraves et les carottes. On prend bien soin d'entreposer les légumes, comme les carottes, à la cave ainsi que les autres légumes afin que la famille ait des légumes pour l'hiver.

La récolte de la pomme de terre
En octobre, quand les feuilles de la pomme de terre commencent à jaunir et à flétrir, il est temps de les récolter. Avec une charrue, on retourne la terre pour mettre au jour les tubercules. On les ramasse à la main et on les entrepose à la cave. Au milieu du dix-neuvième siècle, la pomme de terre est devenue le principal élément nutritif des paysans. Elle a peu à peu remplacé le blé qui résistait moins bien que la pomme de terre aux caprices de mère Nature.

Conclusion

La vie rurale est beaucoup plus intense qu'elle ne paraît. Nous avons vu, sur une période d'un an, les principales activités agraires. Cependant, les cycles ne sont pas qu'annuels. Il y a aussi les activités au quotidien: le «train» qui consiste à nourrir les animaux, traire les vaches, etc.

Dans le calendrier agraire que nous venons de voir s'inscrit une vie beaucoup plus riche. En plus du calendrier agraire, il se vit tout un autre calendrier, le calendrier du monde rural. Dans celui-ci, nous retrouvons toute une vie animée autour de la famille.

Bibliographie

PROVENCHER, Jean. Les quatre saisons dans la vallée du Saint-Laurent. Édition Boréal, Montréal, 1988, 605 pages.

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