
Bien avant que l'aube ne donnât le signal du retour à la vie, nous partions tous les deux en direction de Gdansk. Malgré les grands malheurs qu'elle avait vécus, malgré l'extrême dénuement que trahissaient ses vêtements crasseux et ses haillons, elle était joyeuse et pimpante. Elle ne cessait de papoter, me narrant à la queue leu leu des épisodes de sa vie, me posant mille questions sur la mienne, faisant des projets pour l'avenir, à Gdansk ou ailleurs... Au début, son babillage ininterrompu m'ennuyait assez, m'exaspérait même. Puis, peu à peu, je m'habituai à cette cascade de mots qui, tel un chant de marche, rendait nos pas moins lourds.
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Nous avons ainsi cheminé ensemble pendant trois jours, heureux et insouciants comme deux gamins faisant l'école buissonnière. D'après notre estimation, nous avions parcouru environ 20 lieues sur la centaine qui nous séparait de Gdansk. À la fin de la troisième journée, nous avions épuisé nos vivres. Nous étions sur un chemin bordé par des fermes et Janda me confia son intention d'aller faire une petite incursion dans l'une de celles-ci, pour trouver de quoi remplir nos estomacs qui glougloutaient comme mille gargouilles, une nuit d'orage. |
Cette idée d'aller chaparder dans une ferme ne me souriait guère.
Mais Janda insista, car elle ne pouvait absolument pas supporter la faim, clamait-elle. Et puis, elle avait l'habitude... et si j'avais la frousse, elle s'aventurerait seule...
Lorsque les fenêtres des maisons s'éclairèrent à la lumière des lampes, Janda fila comme un chevreau à travers le champ qui la séparait des bâtiments d'une ferme qui semblait florissante à cause de ses dimensions. Je la suivais de loin, comme convenu, guettant ses mouvements et prêt à intervenir au moindre signe de danger. Je la vis entrer dans un bâtiment, comme une ombre, puis en ressortir, puis s'engouffrer dans un autre...
À ce moment-là, des aboiements impétueux déchirèrent le silence comme des crocs acérés. Janda s'élança hors du bâtiment et se dirigea en ma direction avec des bonds de félin à la chasse. Elle semait l'énorme chien qui la poursuivait lorsqu'elle s'affala, un pied coincé dans une racine. Avant que je n'aie eu le temps d'agir, le molosse s'était précipité sur elle et la mordait férocement au mollet et à la hanche. À mon approche, il lâcha sa proie et tenta de me sauter à la gorge. J'eus juste le temps d'abattre sur sa nuque le gourdin dont j'avais eu la bonne idée de me munir, au cas... Assommé, il retraita à quelque distance, crachant du feu comme un loup blessé. Je pris Janda dans mes bras et m'enfuis de ce lieu aussi vite que mes jambes le pouvaient. À demi évanouie, Janda geignait faiblement. De la ferme, on entendait des gens crier: "Des voleurs! Aux voleurs!"
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