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Le voyage d'Ovide Polansky



Amer souvenir (suite)


Était-ce quelques minutes ou quelques heures plus tard, je me réveillai en sursaut, trempé de sueurs malgré la fraîcheur de la nuit. Je pris vite conscience que Janda n'était plus là, à côté de moi, où elle s'était étendue avant que le sommeil nous gagnât. Fou d'inquiétude, je la cherchai fébrilement dans tous les coins du parc, à tâtons, piétinant sans vergogne les corps vautrés sur le sol qui se recroquevillaient avec des grognements de colère. Le matin venu, je poursuivis mes recherches, interrogeant des dizaines de personnes, à l'affût de tout indice qui aurait pu m'aider à la retrouver.

Je ne quittai pas le parc avant midi, m'attendant à la voir surgir de quelque part d'une minute à l'autre... en vain. J'entrepris alors de parcourir les rues et les ruelles avoisinantes, systématiquement, visitant tous les lieux où elle aurait pu avoir trouvé refuge: gargotes, échoppes, estaminets et tavernes.

Pendant trois jours, je ne cessai de la chercher, sans manger ni dormir, quadrillant la ville de bout en bout. Une fois, je crus l'apercevoir dans la foule d'un marché public. Je me précipitai dans sa direction, bousculant tout sur mon passage. J'eus beau faire dix fois le tour des lieux... nulle trace de Janda.


J'allais sombrer dans le découragement et déjà les idées les plus noires hantaient mon cerveau, lorsque les paroles de Janda me revinrent à l'esprit. Je les écoutais, comme une récitation, tellement réelle qu'à un moment donné je tournai la tête, croyant qu'elle était là, tout près. Je compris à cet instant ce qu'elle avait fait... geste cruel. Elle avait simplement résolu de me quitter parce qu'elle était devenue un obstacle à mon départ. Les poings serrés de rage contenue, je restai longtemps sur place à répéter son nom: "Janda! Janda! Janda!"

Je retournai au parc où je dormis ce soir-là. Le lendemain matin, je me dirigeai tôt vers le port, sans regarder derrière moi, tout entier absorbé par les derniers mots de Janda qui me redonnaient espoir et courage: "...voyageant dans ma tête, imaginant les mers, les fleuves et les terres que tu devras traverser pour arriver au pays de ton rêve." "Comme tu l'as dit, Janda, quoiqu'il advienne, je serai moi aussi heureux, car je t'aurai connue."

L'après-midi même, l'officier-recruteur du Jozef Poniatowski, un énorme voilier marchand à la mâture impressionnante, m'engageait comme mousse. Il devait remplacer au pied levé un matelot qui avait déserté. Il m'avertit que le travail à bord serait dur, davantage que je pouvais me l'imaginer. J'acceptai toutes ses conditions, même le maigre salaire de 20 zlotys par semaine.

À peine trois heures plus tard, profitant d'un vent favorable, nous quittions Gdansk à destination du Hâvre, grand port de mer d'un pays dont j'avais souvent entendu parler à cause d'un certain Napoléon Bonaparte.

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