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Le voyage d'Ovide Polansky



Amer souvenir


Après avoir dormi quelques heures à même le sol d'un petit parc public fréquenté par une horde de mendiants loqueteux, nous partageâmes avec quelques-uns d'entre eux les quelques provisions qui nous restaient. La journée s'annonçait belle et je n'avais qu'une envie, celle de me rendre sans tarder jusqu'au port et d'y trouver un navire en partance pour le Canada.

Janda ne babillait pas comme à son habitude. Avait-elle, comme moi, le pressentiment que nos routes étaient sur le point de s'écarter? Jusqu'à ce jour, Janda n'était pour moi qu'une amie, une compagne de route, courageuse et débrouillarde. En emballant le reste de mes affaires, je la voyais soudain avec d'autres yeux... une jeune fille plutôt jolie, vive, forte, pétillante.


Tout le long du chemin qui nous conduisait au port, elle me suivit sans paroles. Ma détermination de partir faiblissait de minute en minute. Peut-être, me disais-je, pourrions-nous trouver du travail à Gdansk et nous y établir tous les deux. Je n'étais pas connu dans cette ville et il était peu probable qu'on m'y recherchât.

C'est Janda qui brisa le silence. "Nous allons devoir nous séparer, Ovide, je le sais et tu le sais. Tu es triste et ma tristesse est au moins aussi grande que la tienne. Le projet que tu as fait de te rendre en pays lointain, tu es maintenant prêt à l'abandonner, je le sens. L'idée de te voir partir me brise le coeur et le corps comme la meule le grain de blé, mais tu dois aller de l'avant, Ovide, avec ou sans moi. Voilà ce que je te propose: s'il est possible que nous fassions le voyage ensemble, je te suivrai, partout, si tu le veux. Si tu dois partir seul, tu le feras. Je resterai ici, voyageant dans ma tête, imaginant les mers, les fleuves, les terres que tu devras traverser pour arriver au pays de ton rêve. Quoiqu'il advienne alors, je pourrai vivre heureuse, car je t'aurai connu." Les yeux embués de larmes, elle esquissa un pâle sourire en ma direction et prit ma main dans la sienne, l'enveloppant d'une tendresse qui me chavira.

Le port était très animé en ce début d'après-midi. Débardeurs et marins s'affairaient à remplir ou à vider les cales de dizaines d'énormes bâtiments amarrés au quai. Nos essais répétés pour trouver du travail sur l'un de ces navires furent vains. On nous fit vite comprendre que seuls les hommes et les garçons pouvaient faire partie d'un équipage. Partout, on se gaussa de notre naïveté et de notre sottise d'espérer être engagés tous les deux.

Nous quittâmes les lieux la mort dans l'âme. Nous dépensâmes les quelques zlotys que nous avions pour acheter un quignon de pain et de la saucisse que nous grignotâmes, sans appétit, en regagnant le petit parc. Je promis à Janda de ne jamais l'abandonner, du moins aussi longtemps qu'elle n'aurait pas trouvé du travail et un gîte convenable. Elle ne dit mot, mais semblait d'accord. Ce ne fut que tard dans la nuit que nous pûmes fermer l'oeil.

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