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Le voyage d'Ovide Polansky



Mal de mer


Les premiers jours de la traversée furent plutôt calmes. Il faisait beau temps et les vents étaient favorables. J'apprenais les rudiments de la navigation à voiles. Je me démenais autant que je le pouvais, obéissant à tous les ordres sans rechigner. J'avais vite compris que tout manquement à la discipline à bord d'un navire était puni avec la plus extrême rigueur. La peine du fouet était monnaie courante et lorsque le fouet ne suffisait pas, on mettait les plus récalcitrants aux fers, dans la cale où pullulaient les rats. Malgré la nourriture infecte qui composait notre menu quotidien, galettes détrempées et moisies, viande avariée et souvent grouillante de vers, nous devions être à pied d'oeuvre vingt heures par jour, nettoyant le pont, vidant la cale, modifiant la voilure pour profiter au maximum du vent. Je me fis quelques amis parmi les matelots, dont le gabier Potocki qui appréciait ma robustesse et mon agilité lorsqu'il s'agissait de déployer les voiles ou de grimper aux cordages.

Nous fîmes une première escale à Copenhague pour nous approvisionner en eau et en nourriture. Puis le navire reprit sa route vers Amsterdam, le grand port de la Hollande. Dès que nous débouchâmes sur l'Atlantique, les vents se firent plus violents. Balloté par des vagues énormes, le voilier tanguait, piquant du nez puis se cabrant comme un cheval rétif qu'on malmène. Je connus alors ce qu'était le mal de mer, hantise de tous les marins. Pendant deux jours, je fus pris d'une violente nausée, au point où je vomissais même le peu d'eau que je m'efforçais à avaler.


Je faiblissais d'heure en heure et j'avais l'impression que mon estomac et mes tripes s'étaient transformés en tison ardent. Les matelots plus aguerris, qui avaient appris à maîtriser ce mal sans pareil, se moquaient de moi et en profitaient pour me confier les tâches les plus rudes. J'évitai le fouet de justesse grâce à mon protecteur, le gabier Potocki, qui se montrait sensible à mon état, malgré ses manières frustes et son caractère bouillant.

À Amsterdam, j'eus la permission de débarquer avec d'autres matelots qui m'entraînèrent dans un estaminet mal famé où je m'enivrai pour la première fois, gaspillant d'un coup les quelques zlotys que j'avais si durement gagnés. En revenant au navire, mal en point et titubant, je jurai, mais un peu tard, qu'on ne m'y reprendrait plus!

La fin du voyage ne fut marquée d'aucun événement digne de mention. Je connaissais de mieux en mieux le métier de marin et j'exécutais les manoeuvres avec adresse et célérité.

Aussitôt le navire amarré au quai du Hâvre je débarquai prestement. Je craignais qu'on veuille me retenir à bord, même si j'avais avisé l'officier-recruteur, à Gdansk, que ma destination était le Hâvre. Cette étape franchie, je me sentais plus près du but. Mais je ne pouvais me détacher, en quittant le port, du souvenir de Janda.

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