
Nous passâmes deux merveilleuses journées dans le campement, Janda et moi, traités comme des enfants retrouvés après une longue disparition. La troisième journée, nous résolûmes de partir, même si tous, surtout les jeunes de notre âge, insistaient pour que nous restions parmi eux plus longtemps. On nous prépara à chacun un baluchon bourré de vivres et de vêtements et nous nous mîmes en route après de longs adieux, car tous et toutes se pressaient pour nous serrer la main et nous embrasser.
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Nous n'étions plus qu'à une trentaine de lieues de Gdansk, nous avaient informés nos amis du campement, et nous comptions bien y parvenir le plus vite possible. Janda avait repris des forces et recommençait son gai bavardage qui rendait nos pas plus légers. De temps à autre, une voiture tirée par des chevaux nous dépassait et nous devançait de très loin. Janda eut alors l'idée de demander au conducteur de l'une de ces voitures de nous faire monter. Nos premiers essais se révélèrent infructueux. Plus souvent qu'autrement, les conducteurs répondaient à nos signes en nous faisant la nique et en nous lançant des quolibets. |
L'ingénieuse Janda, qui se laissait difficilement désarmer, pensa alors à un subterfuge qui, tout en m'apparaissant plutôt farfelu, avait des chances de réussir. Elle bourrerait sa robe de nippes dont était rempli son baluchon et on croirait ainsi qu'elle était enceinte. La fatigue de la route et ma hâte d'arriver à Gdansk m'incitèrent à accepter qu'elle joue ce jeu un peu risqué, malgré tout.
La première voiture qui se présenta passa outre à vive allure. Janda pestait de colère. La deuxième s'immobilisa. C'était une espèce de carrosse payant peu de mine, dont l'unique passager, un rouquin joufflu et souriant, nous demanda où nous nous rendions ainsi. "À Gdansk? C'est ma destination. Allez, montez. Vous avez l'air de bons enfants... vous me tiendrez compagnie." Il ordonna au cocher de repartir et, tout le temps que dura le voyage, il ne tarit pas d'histoires et d'anecdotes plus drôles les unes que les autres, qu'il avait recueillies, disait-il, au cours de sa longue carrière de commerçant.
Janda se tordait les côtes. De temps à autre, elle devait rajuster le bourrelet de linge qu'elle s'était noué autour de la taille pour simuler une grossesse et qui avait tendance à se déplacer vers le haut. Lorsque le facétieux bonhomme détournait un instant la tête, j'en profitais pour lancer un clin d'oeil à Janda qui manquait à chaque fois de s'esclaffer, tant la situation était comique.
Vers le milieu de la nuit, nous arrivions à Gdansk. Le chaleureux commerçant nous remercia pour lui avoir tenu compagnie et nous fit descendre à proximité d'un petit hôtel. Il nous glissa quelques zlotys dans la main.
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