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Les feuillets de Janda



En fuite


Je marchai des heures dans une nuit aussi noire que mon désespoir, butant à tout moment sur les pierres qui jonchaient le sol en friche. Lorsque l’aube ensanglanta l’horizon du côté de l’Orient, j’étais en vue d’une forêt. Malgré mon total épuisement, je réussis à l’atteindre pour m’y cacher. Les alentours étaient déserts, mais j’éprouvais l’étrange et angoissante sensation d’être poursuivie. Le moindre bruit, le moindre craquement me faisaient sursauter. Je n’avais commis aucun crime et pourtant je me comportais comme une fugitive.


M’étant réfugiée sous les branches basses d’un pin centenaire, je tombai immédiatement dans un sommeil profond, mais agité de cauchemars affreux. Tantôt je me défendais contre deux canailles qui se ruaient sur moi, prêtes à m’égorger; tantôt je me retrouvais dans un cachot humide infesté de vermine, malmenée par des gardes-chiourmes à l’air patibulaire. Je me réveillai tremblante et fiévreuse. Il faisait nuit et jusqu’au matin je restai là sans bouger, repliée sur moi-même comme un foetus dans le sein de sa mère, les yeux grands ouverts et osant à peine respirer.

Mon estomac me faisait mal, mais je ne ressentais nulle faim. Je me décidai quand même à prendre quelques bouchées des maigres provisions que contenait mon baluchon et je sentis que j’allais un peu mieux. Était-ce un effet de la soif qui me tenaillait depuis des heures, je pris tout d’un coup conscience d’un bruit qui ressemblait au glouglou de l’eau qui coule. Me déplaçant avec peine entre les troncs enchevêtrés de jeunes arbres branchus, je parvins jusqu’à un ruisseau qui dévalait, en sautillant, une petite pente rocheuse. Je m’avançai jusqu’à la ceinture dans son eau limpide que faisaient étinceler, comme un écrin de pierreries, les premiers rayons du soleil matinal. Je bus tout mon soûl et m’étant débarrassée de mes vêtements, je m’y plongeai avec l’indéfinissable certitude qu’elle me laverait de toute souillure. Ragaillardie par la fraîcheur bienfaisante de cette eau surgie de sources souterraines, je reprenais vie, n’en finissant plus de m’ébrouer comme une jeune loutre enjouée.

Le calme des lieux était enivrant et je décidai de prolonger ma halte jusqu’au lendemain. Je mis mes vêtements à sécher sur des buissons et je passai le reste de la journée à me faire cajoler par les rayons puissants du soleil en pensant que, dans quelques heures, à des milliers de kilomètres, ces mêmes rayons caresseraient ton beau visage et tes bras forts comme des troncs de jeunes chênes. Au soir, toute l’angoisse qui m’avait possédée les deux jours précédents s’était dissipée comme par enchantement. Je m’endormis en comptant les étoiles, merveilleusement sereine.

Lorsqu‘à l’aube le bavardage criard de corneilles querelleuses me réveilla, j’avais grand-faim. J’avalai une bonne partie de ce qui me restait de mes provisions avant de continuer mon chemin. Comme je n’avais aucune idée de l’endroit où je me trouvais, je décidai, malgré les difficultés que cela pouvait présenter, de suivre le cours du ruisseau. Il m’avait ramenée à la vie. J’avais confiance qu’il me mènerait tôt ou tard en lieu sûr. Ayant suivi sa course deux jours entiers, au gré de ses serpentins et de ses cascades, je débouchai sur une vaste plaine cultivée où se découpaient, au loin, sur la ligne d’horizon, les formes incertaines de ce qui semblait être une petite ville.

Prenant garde de ne pas attirer l’attention, je m’en approchai après avoir réussi à rejoindre l’une des routes qui y conduisaient. Je décidai d’attendre la tombée de la nuit pour m’y introduire.

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