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Les feuillets de Janda



Dies irae


Ce jour-là nous avions trimé jusqu’au coucher du soleil pour terminer les semailles. Nous venions de nous mettre à table lorsqu’on frappa à la porte. J’allai ouvrir. Deux grands gaillards sales et loqueteux se présentèrent à moi, me demandant de leur accorder l’hospitalité pour la nuit. Comme il était coutume d’accueillir charitablement les gueux et les mendiants, mes hôtes bienveillants me pressèrent de leur offrir un bol de soupe chaude et de préparer quelques couvertures afin qu’il puissent dormir dans un coin de la maison. Malgré leur piteux état, ils donnaient l’impression, par leurs propos empreints de sollicitude envers les deux vieillards, d’être d’honnêtes jeunes gens. Agrémentée du récit de leur vie tumultueuse, la soirée se termina dans la bonne humeur.


C’est fourbus mais joyeux que mes bien-aimés protecteurs allèrent se mettre au lit alors que je terminais de dresser un lit de fortune où nos invités pourraient passer une nuit confortable.

C’est un grognement sourd suivi de halètements désespérés qui m’éveillèrent. Je sautai hors de mon lit et me précipitai, à tâtons, dans la direction de la pièce d’où semblaient venir ces bruits. J’eus à peine le temps d’ouvrir la porte et d’apercevoir une ombre penchée au-dessus du lit et ricanant, que je reçus un violent coup sur la nuque qui m’assomma net.

Lorsque je repris conscience, une serpe maculée de sang à la main, le jour se levait. Hébétée, je mis quelques minutes à prendre conscience du drame qui s’était joué au cours de la nuit. Le vieux monsieur et sa compagne gisaient tous les deux sur leur paillasse souillée de sang, la gorge tranchée. Toutes les pièces de la maison étaient dans un désordre indescriptible, chaises et tables renversées, armoires et coffres éventrés. Les malotrus à l’air si affable avaient fui, laissant la porte ouverte.

La fuite était mon seul salut. Rassemblant ce qui me restait de courage, je consacrai plusieurs heures à effacer les traces des meurtres horribles qui avaient endeuillé la maison. Je lavai et langeai les dépouilles de ces êtres adorés qui m’avaient entourée de leur amour et les disposai côte à côte sur la grande table de la cuisine recouverte d’un drap blanc. Agenouillée au pied de ce catafalque improvisé, je leur fis de longs adieux, les priant de m’apporter du haut des cieux où ils se trouvaient déjà certainement, la force de continuer à vivre.

Lorsque la nuit jeta son linceul sur la petite ferme, j’allumai les deux bougies que j’avais déposées à proximité de leurs têtes blanches, de chaque côté de la table, et je passai la porte n’emportant avec moi qu’un petit baluchon contenant mes affaires et un peu de nourriture.

Me dissimulant derrière les fourrés, je m’éloignai de ce lieu aussi vite que mes jambes pouvaient me le permettre, sans me retourner une seule fois.

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