Mademoiselle Élisabeth et le problème de la vache à lait
Mathieu Martin, jeune pianiste et élève modèle — 5 février 1854
Chers amis du futur,
D'habitude, à l'école, on apprend à compter avec des pommes ou des billes. Mais aujourd'hui, mademoiselle Élisabeth Tremblay nous a donné le problème le plus étrange et le plus important que je n'aie jamais eu à résoudre.
Elle s'est avancée devant le grand tableau noir, un morceau de craie à la main. Dehors, on entendait les oiseaux chanter, mais dans la classe, personne ne bougeait.
« Les enfants, a-t-elle commencé, vous entendez vos parents parler de la nouvelle loi, de la fin du régime seigneurial. Je sais que les mots comme "capital" et "rente constituée" vous semblent bien compliqués. Alors, aujourd'hui, nous allons faire semblant que chaque famille de la seigneurie possède une vache. »
On s'est tous regardés, un peu surpris. Une vache ?
Mademoiselle Élisabeth a continué, en dessinant une vache un peu comique au tableau, ce qui nous a fait sourire. « Imaginez que cette vache est une vache à lait magique. Chaque année, elle donne du lait que vous devez donner au seigneur. Pour la famille Beaulieu, par exemple, leur vache donne pour 3 piastres de lait par an. Ce n'est pas beaucoup, mais elle en donnera pour toujours. »
Elle s'est tournée vers nous. « Maintenant, la nouvelle loi dit que vous pouvez acheter la vache au seigneur pour qu'elle soit enfin à vous. Mais à quel prix ? On ne regarde pas tout le lait qu'elle a déjà donné. Ça, c'est le passé. On doit calculer combien vaut la vache aujourd'hui. Et pour ça, la loi nous donne un chiffre magique : six pour cent. »
Elle a écrit en grandes lettres au tableau : TAUX D'INTÉRÊT = 6 %
Puis elle nous a donné notre premier problème. « Problème numéro 1 : Si la vache des Beaulieu donne 3 piastres de lait par an, et que le taux d'intérêt est de 6 %, quel est le prix de la vache ? »
J'ai vu les plus grands se gratter la tête. Mais mademoiselle Élisabeth a une façon de rendre les choses simples. « C'est comme une devinette, a-t-elle dit. Quel est le nombre qui, si l'on en prend six morceaux sur cent, nous donne 3 ? Autrement dit ( 6% de ? = 3 ) ». Après quelques essais, c'est Henri-Firmin McLean qui a trouvé la réponse : 50 piastres !
Mademoiselle Élisabeth a applaudi. « Exactement ! Le prix de la vache des Beaulieu est de 50 piastres. C'est le capital qu'ils doivent racheter. »
Mais elle ne s'est pas arrêtée là. « Problème numéro 2, plus difficile : La famille de votre ami Thomas, les Larose, paie chaque année au seigneur 2 piastres ET deux chapons. Si un bon chapon vaut 50 sous (une demi-piastre), quel est le prix de la vache des Larose ? »
Là, il a fallu calculer en plusieurs étapes ! Tout d’abord, la valeur des chapons : 2 chapons coûtent 50 sous chacun, ce qui équivaut à 1 piastre. Ensuite, on a ajouté cette piastre aux 2 piastres en argent. La vache des Larose donne donc pour 3 piastres de lait par an, comme celle des Beaulieu ! Le prix de leur vache est donc aussi de 50 piastres.
J'ai tout compris d'un coup. J'ai compris pourquoi mon oncle Magloire et les autres adultes fronçaient les sourcils en parlant de ça. Ce n'est pas une simple taxe. C'est un problème de mathématiques qui décide de la vie de tout le monde.
En sortant de l'école, je ne voyais plus les fermes de la même façon. Je voyais des vaches à lait magiques partout, et j'imaginais tous mes voisins en train d'essayer de résoudre le même problème que nous. Je crois que mademoiselle Élisabeth ne nous a pas seulement appris à calculer aujourd'hui. Elle nous a appris à comprendre le monde dans lequel on vit. Et ça, je pense que c'est la leçon la plus importante de toutes.
Votre ami,
Mathieu Martin, pianiste de talent