Quelles sont les options des Beaulieu?
Aurigène Lemieux, 16 novembre 2025.
Pour Marie-Louise et Alcide Beaulieu, réunir une somme de 167 piastres en 1855 n'est pas une mince affaire. Un journalier, c'est-à-dire un homme engagé à la journée pour des travaux saisonniers, comme les foins ou la moisson, gagnait généralement entre 40 et 75 sous par jour. Avec le salaire le plus élevé, cela représente 223 jours de travail. C'est un montant colossal pour un ouvrier.
Leur richesse n'étant pas en argent liquide, ils devraient envisager des sacrifices importants et faire preuve d'une grande ingéniosité. Voici les options, très concrètes et réalistes, qui s'offriraient à eux.
1. La vente d'actifs : Un sacrifice douloureuxC'est la solution la plus rapide, mais aussi la plus coûteuse pour l'avenir de la ferme.
Vendre du bétail 🐄 : c'est leur principale "banque". La vente d'une bonne vache laitière (qui vaut environ 20-25 piastres) et de quelques cochons gras (5-7 piastres chacun).
Le coût caché : C'est un sacrifice énorme. Moins de vaches signifie moins de lait, de beurre et de veaux pour les années à venir. C'est amputer l'avenir de la ferme pour payer le passé.
Vendre la paire de bœufs de labour 🐂 : une paire de bœufs vaut entre 40 et 50 piastres.
Le coût caché : catastrophique. Sans leurs bœufs, comment labourer les champs ? Ils devraient louer les services d'un voisin, s'endettant d'une autre manière, ou retourner à un travail manuel exténuant.
2. Augmenter les Revenus : Le Travail sans relâcheCette option demande du temps et un effort surhumain, mais elle préserve le capital de la ferme.
Le travail d'Alcide à l'extérieur 🌲 : Alcide pourrait se louer comme journalier chez des voisins plus riches pendant les périodes creuses ou, plus probablement, partir travailler dans un chantier forestier durant l'hiver. Un hiver au chantier pouvait rapporter entre 20 et 30 piastres, une somme considérable.
Le coût caché : Pendant qu'il est parti, tout le travail de la ferme repose sur Marie-Louise et les enfants. De plus, il ne peut pas préparer son propre bois de chauffage ou réparer ses outils.
La "petite industrie" de Marie-Louise 🧈 : C'est là que le rôle de Marie-Louise devient crucial. Elle pourrait intensifier sa production pour la vente au marché du village :
Le surplus du jardin : Vendre ses légumes, herbes et conserves.
Les produits laitiers : Augmenter sa production de beurre et de fromage frais, qui se vendent bien.
L'artisanat : passer ses soirées à filer la laine de ses moutons ou le lin de son champ pour vendre le fil, ou même tisser de la catalogne (tissu rustique).
Vendre des œufs et des volailles au magasin de M. Lavoie.
3. L'Endettement : Le piège à éviterEmprunter à Eustache Lavoie : c'est la solution de la dernière chance. Le marchand pourrait leur avancer les 167 piastres, mais à un taux d'intérêt bien plus élevé que celui de la rente. Ils échapperaient à la dette seigneuriale pour tomber dans les griffes de la dette commerciale, ce qui est souvent pire. C'est le chemin le plus rapide vers la perte de leur terre.
La stratégie la plus probablePour une famille fière et travailleuse comme les Beaulieu, la stratégie la plus réaliste serait une combinaison des options 1 et 2, étalée sur une ou deux années :
Ils décideraient de vendre un ou deux cochons et peut-être un jeune veau (un sacrifice modéré), et de mettre les bouchées doubles sur le travail. Alcide partirait un hiver au chantier, et Marie-Louise transformerait sa cuisine en véritable petite usine de production, vendant chaque œuf, chaque motte de beurre et chaque écheveau de laine qu'elle pourrait produire.
Ce serait deux années d'épuisement et de privations, où chaque sou serait compté, mais au bout desquelles ils pourraient enfin marcher sur une terre qui, pour la toute première fois, serait entièrement et véritablement la leur. C'est ce rêve qui leur donnerait la force de continuer.
Ils pourraient aussi vendre la terre (entre 1 000 et 1500 piastres) et repartir ailleurs, vers d'autres cieux...
C'est d'ailleurs la solution que plusieurs d'entre eux, souvent à contrecœur, ont adoptée.
À leur place, qu'auriez-vous fait?
Aurigène Lemieux