La Récrimination des Simard : Prisonniers de la Terre
Célina Simard, octobre 1910
Bonjour,
Je ne sais pas si vous lirez ceci. Grand-père Léon a toujours dit que cette machine à écrire au futur était une drôle de bébelle. Je vous écris de la cuisine de la ferme. La même cuisine où il pestait contre la nouvelle loi, il y a plus de 50 ans. Il avait raison.
La loi nous a enchaînés à cette terre. Grand-père était fier, il n'a jamais voulu vendre. Il disait : "Un Simard ne vend pas son héritage." Mais il n'avait pas l'argent pour racheter le "capital". Alors, il a commencé à payer la rente constituée. Et mon père après lui. Et aujourd'hui, c'est mon frère qui signe le chèque chaque année.
L'automne, quand la récolte est maigre, c'est une angoisse. Cette rente n'est pas grand-chose : quelques dollars. Mais c'est le symbole. Le symbole que cette terre, que nous travaillons depuis des générations, n'est pas tout à fait à nous. C'est comme une petite écharde sous l'ongle, qui nous rappelle sans cesse que nous sommes partis avec un boulet au pied.
Les Lavoie, eux, se promènent en automobile. Ils ont racheté la terre des Bellerive la semaine dernière. Nous, on regarde nos champs en se demandant si on pourra se payer une nouvelle charrue l'an prochain. Grand-père avait raison : la loi a peut-être aboli le seigneur, mais elle a créé des rois. Et nous ne faisons pas partie de leur cour.
Célina Simard, petite-fille de Léon Simard, vivant sur la terre ancestrale.