Une promenade et une grande explication

Augustin Lebeau, 20 octobre 1853

Mes chers amis du futur,

je dois vous partager une conversation que j'ai surprise l'autre jour. Le seigneur Gonzague Prologue et le notaire Donald Laprise marchaient tranquillement sur le chemin Bordeleau. Les couleurs de l'automne étaient magnifiques, mais leurs visages étaient graves. Curieux, je les ai suivis à distance respectable, et leurs mots, portés par le vent, sont venus jusqu'à mes oreilles. Ils parlaient du cœur même de notre vie ici : le régime seigneurial.

C'est le seigneur qui a commencé, comme s'il pensait à voix haute.

« Les gens ont l'air si inquiets, Donald. J'ai l'impression qu'ils oublient comment tout cela a commencé. Mon grand-père a reçu cette terre du Roi, non pas comme un cadeau, mais comme une mission. Celle de la peupler, de la faire vivre. »

« C'est exact, Gonzague. Et c'est ce que les gens ne comprennent plus. Légalement, vous n'êtes pas le "propriétaire" de la seigneurie comme on achète une miche de pain. Vous en êtes le gardien, le gérant pour la Couronne. Votre devoir est de concéder des terres. »

« Précisément !» répondit le seigneur. «Et en retour, l'habitant, le censitaire, a aussi ses devoirs. Il ne paie pas pour la terre elle-même, mais pour le droit de l'utiliser, de la cultiver, d'y élever sa famille en sécurité. C'est un contrat, un échange. »

« Gonzague, j'explique cet échange simplement. C'est comme si la terre était une grande maison qui appartient à la Couronne. Vous, le seigneur, en êtes le concierge. Vous donnez une chambre (une censive) à une famille. En retour de cette chambre, la famille ne paie pas un gros loyer en argent, mais elle vous donne un peu de tout chaque année :

Un tout petit peu d'argent, qu'on appelle le cens.

Quelques produits de la ferme, comme des poulets ou du blé, qu'on appelle les rentes.

Et parfois, un ou deux jours de travail pour aider à réparer le manoir ou le moulin, c'est la corvée.» «Oui, bien dit», reprit le seigneur.

« Et avec ça, je dois m'assurer que le moulin fonctionne pour que tous aient de la farine, que les chemins sont praticables... Ce n'est pas une simple location. C'est un système où tout le monde a sa place et ses responsabilités. »

En les écoutant, j'ai compris que le régime seigneurial, c'est bien plus qu'une histoire de taxes. C'est une vieille entente, une façon d'organiser la vie. Mais en voyant l'air soucieux du notaire, j'ai aussi compris que cette vieille entente commençait à craquer. Le monde change, et les gens se demandent si le "loyer" qu'ils paient pour leur place dans la grande maison est encore juste.

Par contre, vous entendrez des versions bien différentes de cette histoire...

Votre dévoué,

Augustin Lebeau, journaliste et avocat

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